Éditorial de la Saison 2006-07 :

L’interdit créateur

Dès son origine, le cinéma a connu des tentatives de limitation de sa force créatrice sous la double offensive des iconoclastes et des intégristes religieux. Le plus célèbre reste le code Hays qui, dans sa version de 1927, interdit la représentation d’un homme et d’une femme dans le même lit. En 1934, naît la ligue de décence catholique, avec sa cotation A, B et l’infamant C aboutissant au boycott du film. En 1968, est créée la cotation par âge. Surprenant argument des censeurs : le cinéma est potentiellement d’autant plus néfaste qu’il peut entraîner par la fascination qu’il provoque l’adhésion du spectateur et, facteur aggravant, celle-ci peut être collective.

Confrontés à cette limitation de leur art, les grands metteurs en scène tirèrent assez vite une conclusion évidente: pour ne pas voir leur œuvre mutilée (notamment par les studios) il fallait précéder la censure. Ce qui était au départ un jeu de défi, un clin d’œil au spectateur par-dessus la tête des censeurs devint rapidement une recherche positive et stimulante, un enrichissement pérenne du langage cinématographique. Pour contourner les règles étouffantes, ils appliquèrent au cinéma les formes littéraires de la rhétorique comme la métonymie, l’ellipse, la litote…

Faut-il en déduire avec Billy Wilder, citant le viennois Karl Krause, que sans cette contrainte la création cinématographique serait sans grand intérêt et se bornerait à montrer des ‘bretzels’. C’est ce que nous essaierons de savoir grâce à des orfèvres en la matière, les dynamiteurs du système que sont Lubitsch, Preminger, Hawks, Kazan. Il manquera Kubrick dont les films ne sont pas disponibles pour cause de ressortie nationale. Des auteurs pour qui l’art du cinéma reste essentiellement celui de la suggestion.

Henri Talvat