Le Ciné-Club Jean Vigo, le plus ancien ciné-club de Montpellier, propose des films du patrimoine cinématographique mondial en version originale sous-titrée. Chaque film est précédé d’une présentation et suivi d’un débat avec le public. Le Ciné-Club Jean Vigo contribue ainsi à la connaissance de l’histoire du cinéma.
Editorial : Un détail pour le tout
Que retenons-nous véritablement d’un film ? Est-ce le déroulement de l’intrigue, la caractérisation précise de chaque personnage, ou bien ces éclats fugaces qui nous hantent bien après le générique de fin ? Souvent, il s’agit d’un fragment inattendu : un objet qui chute et se brise, un mot murmuré, un geste amorcé et laissé en suspens, un regard. Ce détail s’inscrit dans notre mémoire et finit par contenir l’essence même du film. Le cinéma, art des fragments visuels et sonores, invite chaque spectateur à les saisir, dans un jeu complice avec le cinéaste qui les a subtilement rassemblés, délibérément choisis.
Le mystérieux « Rosebud », prononcé sur son lit de mort par le « citizen » Kane dans le film d’Orson Welles, nous indique déjà la voie. Comprendre la vie d’un homme, même célèbre, nécessite de prêter attention à chaque détail. Une pièce manquante échappera peut-être au journaliste, mais pas au spectateur attentif aux images et à la profondeur de champ.
Pour certains films, le détail devient immédiatement central.
Il peut jouer un rôle dans l’intrigue comme c’est le cas chez Hitchcock où, dans Le Crime était presque parfait, il constitue l’indice décisif qui fait basculer un crime parfait en un crime presque parfait et permet la révélation de la vérité. Ou encore, dans Hantise (Gaslight) de George Cukor, la lumière vacillante d’un bec de gaz ouvre l’intrigue à une manipulation psychologique profonde, à tel point que ce phénomène a donné naissance au terme « gaslighting ».
De même, quand le détail construit le personnage, le simple geste d’ôter un gant dans Gilda de Charles Vidor, devient une déclaration de séduction, de défi, de liberté. Rita Hayworth transforme un geste chargé d’érotisme en mouvement d’émancipation. Mais aussi, trop rechercher le détail peut virer à l’obsession. Dans Le Voyeur de Michael Powell, la caméra, telle un détecteur insatiable, s’attarde sur des éléments anodins pour mieux s’approprier chaque instant. La caméra devient un instrument de contrôle, l’image un piège, la perception une menace. Dans Le Pavillon d’or de Kon Ichikawa, rien ne doit abîmer la pureté du temple et l’attention portée au détail devient absolue, jusqu’à consumer l’existence du jeune Mizoguchi. Dans Le Disque rouge de Pietro Germi, c’est à travers les yeux d’un enfant que le monde adulte se dévoile : chaque regard innocent prend pour nous un tout autre sens.
Enfin, avec un maître du contrôle et de la composition comme Stanley Kubrick, la logique du détail est poussée à son paroxysme. Dans Eyes Wide Shut, chaque rideau entrouvert, chaque masque figé, chaque note du piano lancinant devient porteur d’un trouble sous-jacent. Le détail ne fait pas qu’enrichir l’ambiance, il la structure. Le moindre élément visuel alimente une tension diffuse, une inquiétude latente. Ce n’est plus l’action qui dicte le récit, mais ce que le spectateur voit, ou croit voir. Chaque détail peut à lui seul faire basculer le sens de l’ensemble, tout comme dans les tableaux de Meurtres dans un jardin anglais de Peter Greenaway où chaque variation du dessin est révélatrice.
Au cours de cette saison, nous verrons aussi, avec d’autres films emblématiques, que l’art de la mise en scène de Billy Wilder, Robert Bresson, Joseph L. Mankiewicz, Luis García Berlanga, Ida Lupino ou Brian De Palma passe par l’utilisation méticuleuse du détail.
Jean Aubert
