Saison 2022-2023

Héroïque ?

Même dans le film L’Entrée en gare du train de La Ciotat  de Louis Lumière, il y a des silhouettes qui deviendront vite des personnages, car, dès le début, le cinéma a eu recours à des acteurs. Chez le roi du burlesque, Mack Sennett, ce sont des pantins qui figurent les « cops » mais, avec Chaplin, l’acteur s’individualise jusqu’à devenir un héros anarchiste qui a conquis le monde.

C’est avec Keaton que l’affaire se complique car son projet est de triompher des difficultés de l’espace cinématographique. Le héros keatonien, impassible, crée un monde apaisé à son image. Tati, dans son personnage de Monsieur Hulot, lui doit beaucoup.

Le créateur incontesté de l’acteur reste D.W. Griffith pour son invention du gros plan. Comme pour L’entrée en gare, on dit que les spectateurs se reculaient car le rapport aux dimensions, apparemment anormal, accentuait l’incarnation et l’expression des sentiments du personnage. En tout cas, cela donne le coup d’envoi pour quelques décennies du « star system ». Acteurs et surtout actrices signent avec les « major company » des contrats léonins qui font d’eux, d’elles, de véritables esclaves. Leur physique est remodelé (comme le visage de Marlène Dietrich), leur vie privée totalement contrôlée. En contrepartie, par les films ou la presse spécialisée, ils ou elles accèdent internationalement au statut de héros, d’héroïnes. Dans le système dominant qu’est devenu Hollywood, leur rôle est de transmettre les valeurs que l’empire américain entend répandre sur la planète.

Cette trajectoire s’interrompt autour des années cinquante. Une partie du cinéma hollywoodien devient critique avec des réalisateurs comme Kazan. Il lui faut de nouveaux acteurs, de nouvelles actrices. Suivant la méthode Stanislavski, se crée à New York l’Actor’s Studio où le ressort du jeu est recherché dans l’expérience et l’inconscient des acteurs.

Mais cela leur permet aussi de sortir de leur statut de soumission précédent. Ils accèdent enfin au statut de héros humain et cela accentue le phénomène d’identification qui rapproche le spectateur de l’acteur incarnant tel ou tel personnage. Surtout dans le cas du antihéros qui, après avoir mis en œuvre d’énormes moyens pour réussir, finit par un échec qui le rapproche de l’humaine condition.

La liste des films proposés cette année n’entend pas épuiser ce sujet tellement vaste que l’on s’est limité à quelques exemples. Mais elle a le mérite de montrer qu’au cours de leur évolution, acteurs et actrices sont devenus un ingrédient plastique indispensable du film.

Leurs corps, leurs voix peuvent être changées pour s’intégrer à la structure du film et se transfigurer en héros, héroïnes, antihéros qui contribuent à ancrer ce film dans nos mémoires.

Henri Talvat

FilmRéalisateur
FalstaffOrson Welles
Billy le menteurJohn Schlesinger
La Forteresse cachéeAkira Kurosawa
Cendres et DiamantsAndrzej Wajda
Habemus papamNanni Moretti
L’Homme qui voulut être roiJohn Huston
Le Mécano de la GénéraleBuster Keaton
Les vacances de Monsieur HulotJacques Tati
Le Faux coupableAlfred Hitchcock
L’Ange bleuJosef von Sternberg
Un tramway nommé DésirElia Kazan
Le mariage de Maria BraunRainer W. Fassbinder
Les petites margueritesVēra Chytilovà
La Reine ChristineRouben Mamoulian
PandoraAlbert Lewin