Autour du temps…
Apparemment le cinéma se fonde sur la prééminence de l’image en mouvement. Qu’a-t-il à voir avec le temps ? Dans les films des frères Lumière la bande-image est continue comme dans un plan-séquence. Mais déjà on peut remarquer le rôle du déroulement qui fait que l’image de fin est différente de l’image du début : du temps a passé. Or le temps est la succession : notre conscience passe d’un temps à un autre. Comme le pensait Héraclite « on ne se baigne jamais dans le même fleuve ». Mon présent, c’est déjà mon passé.
Plus tard, les choses se compliquent lorsqu’il faut juxtaposer plusieurs bandes-images : par exemple poursuivant/poursuivi. Cela pose des problèmes liés au temps comme la synchronisation ou le décalage. Plus simplement, on peut créer des écarts en supprimant certaines images, on appelle cela une « ellipse ». Par exemple lorsqu’un personnage traverse une pièce on peut raccourcir le temps de passage. Pour que cela soit invisible on a recours à un effet de montage dit « dans le mouvement ».
Le montage-image crée du temps à partir de l’espace discontinu, ainsi se forme un espace-temps manipulé. On peut avoir recours à l’alternance des plans d’une action différente d’un même temps, ou à la mise en parallèle d’actions séparées dans le temps. Mais on peut aussi aboutir à l’abolition du temps par le montage des attractions (Serguei Eisenstein) dont l’objectif est de créer une idée, un concept.
Dans les années quarante, l’histoire du cinéma a été bouleversée par la révolution du flash-back. Jusqu’alors, le spectateur suivait le film dans sa linéarité temporelle, dorénavant on pouvait bouleverser l’ordre du temps dans la présentation des images. Ce nouveau montage aboutit à un bouleversement de la présentation spatiale pour rechercher des formes qui peuvent évoquer l’inconscient. L’exemple le plus célèbre est Citizen Kane d’Orson Welles où l’on enquête sur le dernier mot prononcé par Kane : « Rosebud ». À partir de ce moment-là, le temps devint pour un grand nombre de réalisateurs un ingrédient essentiel du cinéma.
Le cinéma est donc, au même titre que la musique, un art du temps. Tout film déroule et travaille une certaine durée. Tout réalisateur s’emploie donc au traitement de cette durée par le biais de techniques spécifiques qui vont, en amont, de l’enregistrement de certains segments temporels, jusqu’en aval, le montage. Nombre de réalisateurs ont choisi non seulement de faire du cinéma, mais en quelque sorte, de traiter deux fois du temps en prenant celui-ci pour sujet même de leurs films.
En attendant, pour cette saison, perdons-nous avec délice et effroi dans les méandres du temps.
Henri Talvat
Film | Réalisateur |
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Les Choses de la vie | Claude Sautet |
Le Train sifflera trois fois | Fred Zinnemann |
Rashōmon | Akira Kurosawa |
Nous nous sommes tant aimés | Ettore Scola |
Les Fraises sauvages | Ingmar Bergman |
Providence | Alain Resnais |
La Cousine Angélique | Carlos Saura |
La Terre éphémère | George Ovashvili |
Le Portrait de Dorian Gray | Albert Lewin |
Le Jour se lève | Marcel Carné |
L’Éternité et un jour | Théo Angelopoulos |
La Nuit | Michelangelo Antonioni |
La Solitude du coureur de fond | Tony Richardson |
L’Ultime Razzia | Stanley Kubrick |
Au fil du temps | Wim Wenders |